La génération des millennials, correspondant aux personnes nées au début des années 1980 et jusqu’à la fin des années 1990, est à la recherche d’un mode d’habitation différent de celui de ses aîné.e.s. L’immeuble classique, avec ses couloirs sombres et ses paliers individualisés donnant accès à des T2, T3 etc., n’est plus en phase avec leur mode de vie flexible, ouvert et connecté et dont la temporalité est l’immédiateté. Avec l’arrivée sur le marché immobilier de cette génération, appelée aussi Y, émerge un mode d’habitation qui n’est ni de la colocation, ni de la résidence gérée, ni de l’hôtellerie, mais elle en comporte certaines caractéristiques : il s’agit du coliving.
En quoi consiste le coliving et en quoi diffère-t-il des manières d’habiter des générations précédentes ? Habiter dans un espace de coliving, c’est vivre dans un lieu n’abritant que des studios et des deux pièces de 20 à 30 m2 tous meublés, dont les espaces communs, au design soigné, sont en accès libre et pensés pour favoriser les échanges entre colivers : cuisine et salon communs, salle de jeu ou salle video, aménagements hauts de gamme tels que des salles de sport, un billard, une terrasse de toit, un jardin ou une piscine. Une offre de services incluant conciergerie, billetterie, ou organisation de soirées ou d’événements divers (cours d’œnologie, de cuisine etc.) est accessible via une application mobile permettant aussi l’animation de la communauté. La réservation se fait à partir du téléphone pour des temps de séjour de 15 jours ou plusieurs mois. Tous les abonnements (eau, électricité, wifi etc.) sont compris et opérationnels. L’habitant.e n’a pas à s’en préoccuper et paie un loyer incluant toutes les prestations.
Ce type d’offre séduit de jeunes actives et de jeunes actifs au pouvoir d’achat conséquent, qui, pour autant, n’ont pas nécessairement les moyens d’acheter ou ne le souhaitent pas. Ils cherchent à se loger avec un niveau de bien-être élevé sans se préoccuper des tâches administratives ou d’intendance et ne veulent pas vivre dans la solitude, mais être libres d’alterner les moments de convivialité et ceux d’intimité. Nomades, ils souhaitent également pouvoir changer d’adresse facilement et rapidement tout en disposant d’un « chez-soi ». Ce qui frappe également dans la génération des colivers, c’est que la propriété ne les intéresse pas, que ce soit pour un blouson ou pour un appartement. Ils sont à la recherche d’un mode de vie et des usages associés mais ne souhaitent pas devenir propriétaires, ce qui était pourtant un rêve pour la génération précédente.
Coliving, colocation, hôtel, résidence gérée, quelles différences ?
Le coliving est différent de la colocation au sens classique, car les colivers ne partagent ni leur frigo ni les tâches ménagères. Ce n’est pas non plus une résidence services gérée, pour étudiants ou personnes âgées car les prestations sont bien plus haut de gamme, ce qui est possible grâce à un nombre de résidents important. Ce n’est pas un hôtel, car chacun peut cuisiner et recevoir chez soi. Dans un habitat en coliving, à tout moment on peut faire le choix de s’isoler dans sa sphère privée ou d’accéder librement à la convivialité offerte par les nombreux espaces partagés pour travailler, se détendre ou encore se rencontrer.

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La communauté des usagers du co-living est appelée à grandir : les nouvelles générations qui suivront les millennials seront elles aussi très certainement prêtes pour l’économie du partage. D’autres catégories de personnes, telles les retraités, les personnes en mobilité professionnelle ou les personnes seules, âgées ou non, sont déjà séduites par le coliving, et ce phénomène pourrait devenir plus massif dans le futur. Avoir un accès facile à des moments d’échanges conviviaux, tout en préservant un espace d’intimité permet par exemple de mieux vivre des périodes de solitude qui ne sont pas toujours choisies. Enfin, pourquoi ce concept ne séduirait-il pas les familles avec des enfants ? Faire partie d’une petite communauté, cela peut faciliter les rencontres amicales et les échanges de services : covoiturage, babysitting etc.
Une Utopie du XIXème siècle remise au goût du jour
Il se trouve qu’avec le coliving, on redonne vie à une utopie du XIXème siècle, celle du philosophe socialiste Charles Fourier, celui qui a imaginé les phalanstères, des lieux coopératifs et solidaires de vie et de travail. Ceux-ci devaient pouvoir héberger 1620 sociétaires, hommes et femmes, ce nombre issu d’un calcul un peu farfelu étant propice à la création d’une société harmonieuse selon la théorie de Fourier. De nombreuses communautés inspirées des phalanstères de Fourier ont réellement existé à travers le monde, notamment en France et aux Etats-Unis. Une des plus célèbres, le Familistère, se trouve à Guise dans l’Aisne. Créé par Jean-Baptiste André Godin, il comprenait des usines et un « palais social » hébergeant les travailleurs et les travailleuses et leurs familles.
L’emploi du terme palais n’est pas anodin : Godin comme Fourier accordait une grande importance au confort et à l’hygiène c’est pourquoi les logements étaient spacieux et lumineux ce qui était inhabituel pour des logements de familles ouvrières. Il souhaitait donner aux sociétaires « les équivalents de la richesse » : ce que la bourgeoisie s’offre par l’argent, les familistériens pourront se l’offrir par la coopération. L’ensemble a fonctionné en tant qu’expérimentateur social jusqu’en 1968. De nos jours, on peut toujours visiter le Familistère, devenu un musée racontant l’histoire de cette utopie sociale. Quant à l’usine de Guise, qui fabrique les poêles de la marque Godin, elle est toujours en activité.
Retour au XXIème siècle : les prestations haut de gamme qu’attendent les colivers sont comme le reflet des préoccupations de confort de Fourier, et c’est bien la mise en commun qui leur permet d’accéder à ces « équivalents de la richesse ». Le coliving peut donc être considéré comme la modernisation de ce concept ancien, mis en œuvre au XXIe siècle dans un contexte générationnel plus favorable aux partages, et facilité par des technologies qui n’existaient pas au XIXe siècle. Alors demain, tous colivers ?
Par Anne-Laure Boursier, Expériences Urbaines