Les femmes dans la ville – Partie 2

En octobre 2016, la ville de Paris a édité, en collaboration avec des chercheurs des universités de Bordeaux et de Genève, un guide référentiel Genre et Espace public. Pourquoi un tel guide ? Dans son édito, l’ouvrage indique : « L’espace public est une construction avant tout masculine. Conçu et mis en œuvre par et pour des hommes, ses caractéristiques mêmes (configuration, degré d’éclairage, densité etc.) contribuent à définir et à transformer les relations qui s’y déploient ». Nous vous proposons d’explorer ce thème en deux temps…

Des espaces de loisir majoritairement fréquentés par des hommes

Citystade, skatepark, terrains de foot, studio de répétition pour les jeunes, ces espaces sont financés par les pouvoirs publics et majoritairement fréquentés par des garçons. Bien sûr, ils sont ouverts à tous et à toutes. Mais les filles n’y vont pas. Pourquoi n’y vont-elles pas ? Ne se conforment-elles pas aux stéréotypes de genre, appris dès l’enfance : le foot, c’est pour les garçons. Inversement, la danse, c’est pour les filles ?

En effet, « on ne naît pas femme, on le devient » [1], affirme Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe. Le genre est un système, politique, culturel, social, relationnel, qui instaure, entretient, justifie la domination du masculin biologique sur le féminin biologique. Il s’impose à tous et à toutes. Il impose des significations comme légitimes tout en dissimulant les rapports de force qui les sous-tendent. Simone de Beauvoir affirme : « Dès les premières années la vocation [de la femme] lui est impérieusement insufflée » : la maternité, la douceur, la vulnérabilité, la discrétion, la soumission. Ainsi, les garçons et les filles n’ont pas le même usage de la ville, parce qu’il existe une éducation différenciée des garçons et des filles à l’usage de l’espace public.

Dans ce système, les femmes ne se sentent pas en sécurité dans certains endroits de la ville, parce qu’on leur martèle qu’elles sont faibles et vulnérables. En conséquences elles ont peur et cette peur impacte leur mobilité et leur autonomie dans la ville. Pourtant, les statistiques montrent que les femmes sont bien plus souvent victimes de violences dans l’espace domestique que dans l’espace public. Même si on ne peut pas nier la réalité du harcèlement de rue, les femmes ne sont pas vulnérables dans la ville : elles sont surtout jugées. L’occupation de l’espace public donne-t-il lieu à des jugements identiques quel que soit le sexe ? Quelle image renvoie une femme seule dans un bar, en particulier si elle est habillée d’une jupe courte, si elle porte des talons et du rouge à lèvres ? Qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’un homme seul dans un bar ? Inversement, quelle image renvoie un homme habillé en femme ? Est-ce honteux de s’habiller en femme ?

Source photo : Reshot

Dans ce système, les dominées sont aveugles à la relation de domination parce que la violence symbolique est intériorisée et perçue comme naturelle et légitime, comme l’a montré Bourdieu [2]. La femme est essentialisée, l’homme aussi. Si les tenues dénudées des femmes dans l’espace public génèrent des comportements masculins déplacés, c’est parce que c’est la nature, c’est biologique, c’est comme ça. Bien plus, c’est la faute des femmes ainsi vêtues qui sont trop provocantes. Même certaines femmes le disent : « Ce n’est pas aux hommes d’apprendre à se tenir car c’est dans leur nature. Il ne faut pas qu’elles s’étonnent si elles se font agresser ».

Depuis peu, il existe des associations qui tentent de changer les choses, comme le collectif lillois « stop harcèlement de rue ». Ainsi, dans la ville nordiste, a été créé un label « bar sans relou », qui exige des clients une attitude respectueuse, incite le personnel des bars à réagir contre le harcèlement, et propose aux femmes des endroits où passer une bonne soirée sans subir de propos ou gestes déplacés.

Faire en sorte que les femmes s’approprient l’espace public à égalité avec les hommes est une nécessité : « Les femmes ne se sentent pas légitimes dans l’espace public. Elles n’y sont pas avec la même insouciance [que les hommes] » affirme dans un article du Monde Marie-Christine Hohm [3], responsable de l’Agence d’urbanisme de Bordeaux métropole Aquitaine. Elles mettent en œuvre des stratégies vestimentaires, des stratégies d’évitement de certains lieux, des stratégies de déplacement, en fonction du moment du jour ou de la nuit et selon qu’elles sont seules ou accompagnées.

Cette différence d’aisance dans l’espace public physique qu’est la ville se retrouve dans l’espace public en tant qu’espace politique : combien de femmes sont maires en France ? 16 %. Combien de femmes occupent des fonctions politiques ou économiques importantes ? Très peu. L’occupation à égalité de l’espace public, qu’il soit physique dans la ville ou économique ou encore politique, n’est pas une réalité en France. Le droit ne se reflète pas dans les faits. Faut-il s’en tenir à ce constat, et déplorer chaque année les inégalités salariales entre les hommes et les femmes et les manquements à l’objectif de parité en politique ou dans les comités de direction ? Ne faudrait-il pas plutôt à la fois s’attaquer aux représentations dominantes et se demander comment changer la donne ? Pour cela, travaillons à la racine, dès l’instant où l’on commence à réfléchir à l’aménagement urbain, en particulier public, et à son appropriation par les citadines et les citadins.

Source photo : Pexels

Quels espaces seraient susceptibles d’attirer des filles et les femmes ? Certaines réponses existent, qui confortent les stéréotypes de genre – espaces dédiés à la danse ou à la gymnastique et au yoga par exemple – mais la prise de conscience est encore récente et embryonnaire, et la recherche de solutions est balbutiante : aux acteurs et actrices de la ville d’imaginer, avec les habitant.e.s, de nouveaux espaces et de nouveaux aménagements attrayants pour les femmes, de l’art urbain cassant les stéréotypes, des animations urbaines qui vont à l’encontre des préjugés. Notre conviction est que la configuration de l’espace urbain peut contribuer à faire cesser la reproduction de génération en génération des inégalités de genre, que ce soit dans l’occupation de l’espace public urbain ou dans celle de l’espace politique et économique. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Par Anne-Laure Boursier, Nacarat

 

[1] : Simone de Beauvoir, le Deuxième sexe, Tome II p 13
[2] : Pierre Bourdieu, La Domination masculine
[3] : http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2014/08/21/les-femmes-ont-un-usage-reduit-de-l-espace-public_4474241_3224.html

Une réaction

  1. Clemence Vazard

    Bonjour,
    Je suis très heureuse de voir ce sujet enfin pris en compte par un aménageur.
    je suis artiste et travaille sur le rapport des femmes à la ville. Je travailla aussi avec des promoteurset aménageurs sur la création d’espaces inclusifs.
    Je serai ravie de pouvoir participer à votre étude, en apportant des éléments issus des nombreux entretiens individuels que j’ai réalisé avec des femmes ou en participant aux réflexions collectives par exemple.
    merci!

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