Un sondage IPSOS [1] daté de 2013, témoignait de l’appétence des Français pour les valeurs de solidarité et de partage. 82 % des sondés affirmaient ainsi être prêts à faire don de meubles ou vêtements, 65 % d’entre eux prétendaient pouvoir se mettre bénévolement au service des autres, notamment des plus fragiles. Enfin, l’échange de services, comme les cours de langue, l’aide au bricolage ou encore les leçons de cuisine, restait aussi très largement plébiscité. Cette tendance positive semble aussi se développer au sein du logement, où les espaces partagés témoignent d’une quête de lien social au sein même de l’habitat. Tour d’horizon d’un penchant qui devrait s’ancrer durablement dans les pratiques quotidiennes des Français.
De la valeur-partage à l’espace-partagé : l’habitat comme vecteur de lien social
Le sociologue Erwan Lecoeur voit dans les pratiques partagées des valeurs en passe d’innerver massivement nos habitudes. S’inspirant du développement rapide de l’économie collaborative et de ses appendices, il croit ainsi percevoir une « tendance de fond » et précise que si le partage est resté « longtemps le fait d’une minorité », il est aujourd’hui « récupéré par des acteurs intermédiaires : entreprises, grandes associations, institutions ».
Dans le logement, ces pratiques se déclinent à travers une multiplicité d’aménagements, allant de la laverie commune aux jardins collectifs. Chacun de ces espaces a vocation à créer un lien social durable entre les habitants et à dépasser les limites encore bien ancrées entre domaine public et espace privé, par la création de lieux hybrides. La cohabitation s’inscrit ainsi dans ces espaces, avec ses obligations sociales, ses aspects positifs, mais aussi ses difficultés. A la sphère résolument privative du logement, lieu de l’intime et de la structure familiale et individuelle s’adjoint ainsi un espace collectif, qu’il s’agit de ne pas confondre avec le domaine public. L’architecte Le Corbusier évoquait « le prolongement du logis » pour décrire ces espaces hybrides de voisinage.

Crédits photo : Visual Hunt
Cet intérêt croissant pour les pratiques partagées se double d’une attention grandissante portée au voisinage, par la recherche universitaire notamment. Dans nos imaginaires perdure encore l’idée quelque peu faussée d’un âge d’or, détruit par un individualisme prétendument hérité de la civilisation industrielle, où la solidarité entre voisins demeurait une valeur cardinale. Une matrice bien éloignée de la réalité. En effet, selon l’urbaniste Ray Forest [2], Professeur à l’Université de Bristol, « le voisinage se situe dans ce contexte, où des traditions que l’on peut dire locales sont revivifiées et où l’enracinement a apparemment une nouvelle valeur ». Les espaces de sociabilité partagés ont aussi pour objectif de créer du lien entre des gens n’ayant a priori pas de points communs personnels, familiaux, amicaux, ce qui en renforce d’autant plus l’intérêt -et la complexité-. L’exemple de la Fête des Voisins, créée pour rassembler des gens n’ayant pour dénominateur commun qu’une proximité géographique dans une quête affichée de convivialité, demeure particulièrement significatif. C’est en tout cas l’avis de Céline Bryon-Portet [3], Maitre de Conférence à l’Université de Toulouse. L’universitaire affirme ainsi qu’ « en faisant reposer les liens interpersonnels sur la proximité géographique plutôt que sur une proximité idéologique et professionnelle, ou sur des affinités électives », la Fête des Voisins facilite « le brassage social et celui des idées ». Concrètement, le développement des pratiques partagées et collaboratives s’est très amplement ancré dans les nouveaux projets urbains, qui tendent à recentrer l’habitat, non plus sur un usage purement fonctionnel, mais sur une recherche toujours plus forte de liens entre les individus.
Les espaces partagés : des réalisations concrètes au service du lien social
Proposer une énumération exhaustive des différentes réalisations fondées sur le partage de l’espace serait une tâche bien fastidieuse. Cependant, certains projets, particulièrement originaux, utiles ou significatifs nous invitent à une attention notable. La création d’espaces partagés repose parfois sur des impératifs financiers. Des loyers trop élevés, des structures familiales fragilisées et précarisées ou des situations délicates face à l’emploi sont autant de facteurs obligeant les habitants à recourir à des solutions alternatives. Certains immeubles proposent ainsi des buanderies communes [4], permettant d’économiser un peu de place au sein du foyer. Au covoiturage s’ajoute désormais le CoToiturage, permettant aux parents seuls avec enfants de vivre en colocation avec d’autres personnes dans la même situation. En Allemagne, dans plusieurs régions, un immeuble sur cinq est ainsi construit sur un modèle coopératif, signe d’une habitude déjà très largement ancrée chez certains de nos voisins.

Crédit photo : Bryan Marshall sur Reshot
Loin d’être fondée sur un impératif purement économique, la mise en œuvre d’espaces partagés relève le plus souvent d’une volonté commune, souvent co-construite en collaboration avec les habitants. Les jardins partagés révèlent ainsi la capacité des habitants à vivre et construire ensemble. Lieux de vie et de rencontre, gérés par les habitants eux-mêmes, ils concourent très largement à une amélioration du bien-être des citadins, l’exposition à la nature constituant un facteur qualitatif reconnu. A Sceaux [5], le centre-ville a ainsi été partiellement repensé et redessiné. Au sein du Château de l’Amiral, un potager collectif a été mis en œuvre, permettant à toutes et tous d’alimenter leurs cuisines avec des produits frais et aux restaurants de bénéficier d’une production entièrement locale. Parfois, ces initiatives sont directement impulsées par les autorités municipales. C’est ainsi le cas à Strasbourg, où la ville a mis à disposition des habitants 4 800 espaces, destinés à être transformés en Potagers Urbains Collectifs (PUC), dans des parcelles pouvant parfois atteindre les 300 m². Le développement massif d’espaces partagés, tant en ville que dans les immeubles ou résidences, repose ainsi sur une volonté commune des habitants, des professionnels du secteur et des pouvoirs publics, désireux de réinventer la ville. Centrées sur le bien-être de toutes et tous, ces initiatives veillent aussi à repenser le voisinage au prisme du lien entre les habitants et de la participation de chacun à la vie collective.
[1] : Disponible en ligne sur https://www.ipsos.com/fr-fr/solidarite-20-les-francais-sont-prets-partager
[2] : Forrest, Ray. « Le voisinage ? Quelle importance ? », Revue internationale des sciences sociales, vol. 191, no. 1, 2007, pp. 137-151.
[3] : Bryon-Portet, Céline. « Vers une société plus conviviale et solidaire ? Les associations et réseaux fondés sur la proximité géographique à l’ère postmoderne », Sociétés, vol. 113, no. 3, 2011, pp. 107-118.
[4] : Logement : et si l’avenir était dans le partage ? Disponible en ligne sur http://blog.lefigaro.fr/share-qui-peut/2015/12/logement-et-si-lavenir-etait-dans-le-partage.html
[5] : LAURÉAT D’INVENTONS LA MÉTROPOLE DU GRAND PARIS, NACARAT REDESSINE LE CENTRE-VILLE DE SCEAUX, Disponible en ligne sur https://www.avivremagazine.fr/laureat-d-inventons-la-metropole-du-grand-paris-nacarat-redessine-le-centre-ville-de-sceaux-a1183