De plus en plus intégrée à la ville, la nature jouit aujourd’hui d’une place privilégiée dans l’esprit et les projets des acteurs de l’urbain. De nombreux urbanistes et philosophes ont tenté d’apporter une réflexion théorique sur ces enjeux. Au prisme du projet Expériences Urbaines, centré sur l’étude du bien-être en ville, nous avons choisi de réfléchir sur ces sujets et d’y apporter nos contributions. L’enjeu est de taille. Il nous invite à penser, à l’aune des projets d’aujourd’hui et de demain, ce que sera la ville du futur et de tenter de proposer un modèle urbain capable d’offrir un bien-être quotidien à chacun de ses habitants.
La nature et l’urbain ? Un bref retour dans le passé !
Rapidement, revenons sur quelques instants de la pensée urbaine ancrés dans nos réflexions. L’idéal hygiéniste, en vogue dans la seconde partie du XIXème siècle, aspirait notamment à traiter certains maux qui impactaient négativement la vie quotidienne des urbains, comme l’alcoolisme ou la gestion des déchets. Parmi l’ensemble des domaines, associés au bien-être des urbains, l’intégration de la nature à la ville jouissait d’une place cardinale. Le développement notable de jardins dans le Paris haussmannien s’inscrivait ainsi dans cette nouvelle optique. Si les conclusions scientifiques tirées de l’hygiénisme restent discutées, sinon dépassées, leur intérêt pour le bien-être des citadins demeure un apport majeur.
Initiative théorique, l’urbaniste Ebenezer Howard avait imaginé en 1898, dans l’optique d’une pacification des rapports sociaux entre les individus, des cités jardins centrées autour d’espaces agricoles. Ebenezer Howard eut la chance de voir naître l’un de ses projets de cité jardin à Letchworth, ville située à 60 kilomètres au nord de Londres. Les travaux de l’urbaniste ont eu une certaine influence en France. En 2013, les cahiers de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile-de-France percevaient ainsi les cités jardins comme « un idéal à poursuivre ».
Ces créations, intellectuelles ou concrètes, ont témoigné du réel bouillonnement intellectuel qui a souvent agité les esprits des urbanistes. Loin d’être une mode actuelle ou une aspiration passagère, la nécessité de mêler ville et nature semble s’inscrire dans le temps-long. Quoi qu’il en soit, ce sont en tout cas les conclusions qui ressortent des différentes études universitaires publiées à ce sujet.
La nature et l’urbain : une aspiration toujours présente chez les citadins
L’importance des espaces verts en ville s’est confirmée par différentes études quantitatives et qualitatives réalisées auprès de citadins. Même si les résultats varient en fonction des villes et de la taille de celles-ci, un besoin commun de nature semble ressortir des différentes enquêtes réalisées auprès des premiers concernés : les urbains.

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Ainsi, en 2008, respectivement 72 % et 75 % des Français déclaraient se rendre souvent dans les espaces verts de leur commune et les prendre en compte dans leur choix résidentiel. Le concours des villes et villages fleuris de France, qui date pourtant de 1959, s’inscrit aussi dans cette aspiration continue des pouvoirs publics dans les bienfaits effectifs des espaces verts en milieu urbain. Dans une autre étude menée à Lyon en 2012, l’on apprenait que 56 % des personnes interrogées indiquaient considérer la nature comme un besoin vital. Pour Lise Bourdeau-Lepage, Professeur de géographie à l’Université Lyon III, « il ressort […] que, dans sa quête d’une meilleure qualité de vie, le citadin devient un Homo Qualitus faisant de la satisfaction de son désir de nature et de la préservation de son environnement un élément majeur de son bien-être »[1].
Les différentes études proposées ici, loin d’être exhaustives, sembleraient accréditer l’idée que les citadins ont un appétit majeur de nature. Plus encore, la nature serait un facteur déterminant dans leur définition du bien-être en ville. La nature représenterait donc une véritable demande sociale de la part des citadins. Une demande sociale à laquelle les pouvoirs publics et les porteurs des projets actuels doivent tenter d’apporter des réponses….
C’est, en tout cas, l’avis de Philippe Clergeau, professeur au Museum d’Histoire Naturelle, qui estimait déjà en 2009 qu’« il existe […] un refus du tout minéral et une vraie demande pour une nature de proximité dans la ville »[2]. Erwann Breton, enseignant en aménagement paysager, y voyait même un véritable « phénomène de société »[3].
Ces études tendent toutes à nous mener à une même conclusion : même chez les citadins, l’aspiration à bénéficier des bienfaits de la nature reste une réalité concrète. Face à cette véritable demande sociale, les acteurs de l’habitat tentent d’apporter des réponses intégrées aux nouveaux projets.
La nature intégrée à la ville : des enjeux ancrés dans les nouveaux projets urbains
Les nouveaux projets intègrent déjà bien souvent ces impératifs. Plutôt que de disséminer quelques espaces de verdure au sein de l’espace habité, l’enjeu est d’apporter une approche globale. A Rouen, l’écoquartier Les Couleurs de l’Eau encourage ainsi les mobilités douces -marche à pied ou vélo- et les pratiques écologiques collaboratives -composteurs et jardins collectifs-. Pour incorporer les espaces verts désirés, des îlots de verdure ont ainsi été plantés au cœur du projet et différents jardins essaiment l’espace collectif. Le développement de toitures végétalisées permet aussi une meilleure gestion des eaux pluviales.
L’intégration de la nature à la ville s’inscrit parfaitement dans la biodiversité urbaine. Celle-ci est avant tout constituée de l’ensemble des êtres vivants qui composent l’espace-ville. C’est aussi pour les animaux, qu’ils soient ou non domestiqués, installés dans l’espace urbain que sont pensés et conçus les quartiers durables. La prise en compte des continuités écologiques est désormais soumise à de strictes contraintes réglementaires, décidées notamment dans le cadre du Grenelle de l’Environnement. C’est ainsi le cas de l’Ecoquartier la Courrouze à Rennes. Les milieux naturels originaux ont été préservés afin de valoriser les différents biotopes (milieux secs, humides et aquatiques). L’installation de trames écologiques permet de garantir la diversité et la viabilité des écosystèmes urbains. L’objectif est ainsi de permettre le maintien d’un écosystème diversifié, composé de différentes espèces qui ne subissent plus la ville mais y sont pleinement intégrées.
Soutenues par les règlements étatiques, souvent incluses dans les projets des promoteurs immobiliers et de plus en plus désirées par les citadins, les différentes initiatives destinées à faire se rencontrer ville et nature connaissent des développements intéressants. Ces projets méritent d’être poursuivis, tant ils semblent répondre à une demande sociale prégnante et contribuer activement au bien-être des individus en ville.
[1] : Lise Bourdeau-Lepage, « La nature en question. Aménager en ménageant l’homme et son milieu », Géocarrefour [En ligne], 90/3 | 2015, consulté le 14 novembre 2017. URL : http://geocarrefour.revues.org/9932
[2] : Clergeau, P. P. (2012). La ville refuge de la biodiversité. M3, 2, p. 61–63.
[3] : Blaise Mao, « Biodiversité, quelle place dans la ville de demain ? », Géo, 23/05/2009. URL : http://www.geo.fr/environnement/actualite-durable/biodiversite-ville-41554